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28 juillet 2008 1 28 /07 /juillet /2008 23:06
Anish Kapoor - Proposal for a new model
                        of the universe
  Alors non, je ne reviendrai pas encore sur l’énigme que j’ai laissée ouverte l’autre fois, c’est-à-dire en puissance, à savoir que la mort n’existe pas. Je rajouterai simplement que c’est précisément parce que la mort n’existe pas qu’on n’est pas immortels. Je vous laisse y réfléchir. J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un grand pas, après ceux qu’on a faits en pensant l’amour, l’inconscient, la société comme des productions délirantes de bulles. Je prends un autre bout. Je ne sais pas du tout par où le prendre ce bout, mais ça va sans doute venir, on verra…

  Vous avez quelque chose qu’il est assez important d’envisager, qui est la praticité des mécanismes de penser, leur pragmatisme, leur fonctionnalité. A quel point, ce n’est pas pour rien qu’on a pensé le bien et le mal, les dieux ou l’inconscient, toutes ces choses qui nous semblent maintenant délicieusement exotiques, surannées, farfelues et inutiles. A quel point ça a été autant d’outils drôlement pratiques. C’est que ces idées ne sont pas tombées de nulle part, elles répondaient à des besoins dans un souci organisationnel. Regarder ces besoins, ce souci, c’est forcément enthousiasmant. A quoi ça peut servir le bien et le mal, les dieux ou l’inconscient ? Qu’est-ce qui leur est passé par la tête à ces gens de nous trouver ces choses qu’on se trimballe maintenant comme des poids mort un peu quand même ? Alors il faudrait les prendre une par une, ces grosses baudruches, pour voir un peu, mais elles sont déjà assez épuisées comme ça finalement, c’est-à-dire qu’on n’en a tellement plus du tout besoin. Mais il y a quelque chose qui m’intéresse particulièrement quand même, c’est qu’elles font jointure, carrefour, entre des éléments qui sont au cœur de nos préoccupations, où l’on voit le bien et le mal, les dieux et l’inconscient servir de points de croisement entre penser, parler et agir.

  Les mécanismes de la pensée, c’est plutôt assez drôle tellement c’est quelque chose de l’ordre de la production, de la fabrication, de l’organisation. C’est assez intéressant à noter, dans la mesure où, c’est avec les mécanismes de la pensée que vous penser y compris la pensée. Avec la pensée, vous vous mordez forcément la queue. Là où c’est complètement confus, c’est que la pensée est une puissance d’effectuation, qu’il y a un moment où penser a des conséquences, génère des effectuations qui, pour farfelue et délirante que soit leur provenance, n’en sont pas moins réelles. Vous pouvez prendre l’exemple d’une ville, une ville c’est un monde de pensée, c’est complètement recréer, vous voyez la pensée s’étendre sur le monde, tout recouvrir, et en même temps ça se recoupe de toutes parts avec, appelons ça, là maintenant, la réalité ou autre, penser c’est une activité réelle aussi. Que ce soit complètement enchevêtré, c’est exquis. Vous avez une activité, la pensée, qui en quelque sorte étire les marges de la réalité, jusqu’à parfois faire des bulles et par exemple une ville, alors, c’est fait de bulles dans des marges de réalité. – Que l’activité humaine soit en rapport de force avec tout, ça n’est pas tellement mon problème, je dois dire. – Ce qui va être ahurissant alors, c’est que dans ces marges, les marges de la réalité, c’est-à-dire les marges entre nécessités et possibilités, toujours – vous pouvez vous amuser à noter que quoiqu’il en soit la réalité n’a rien à voir ici avec la castration freudienne – c’est les étirements, les suspensions, le foisonnement d’effectuations et aussi les mises en abîme. Alors, pour faire bref, je dirai pour l’instant, jusqu’à plus ample informé comme ça se dit, que la pensée, c’est de l’organisation, puisque ce n’est même que ça : de l’organisation de la perception, de la parole et de l’action. Penser c’est organiser une existence, celle humaine, qui n’a pourtant désespérément pas lieu d’être, morte qu’elle est au regard de la survie de l’espèce. Penser, c’est forcément l’activité la plus belle du monde, puisqu’elle est parfaitement vaine. Et précisément, cette activité, c’est dans les marges, là où le corps sans fonction est bien vivant, tout puissant, qu’elle va aller s’engouffrer. Vous avez donc cette activité, penser, qui organise la vie dans des marges qu’elle étire en les gorgeant de sa puissance.

  Ce qu’il faut voir, c’est l’entêtement de la pensée : penser, c’est rendre pensable. C’est très important. Vous ne pensez pas le monde, vous rendez le monde pensable. Et même vous rendez le monde pensé pensable. C’est la tension entre nécessités et possibilités qui s’étire là. Nécessités et possibilités de penser, de rendre pensable, d’organiser. Saisir les possibilités et rendre possible participent d’un même mouvement. Alors vous avez ce corps sans fonction qui survit, qui résiste, qui s’obstine, qui sauve sa peau, jusqu’à ne pas la sauver, et qui, pour survivre va organiser, mettre au point des parades, penser, nommer, rendre pensable et pensé, rendre organisable et organisé – La propension humaine à la magie veut qu’à ce moment-là ce soit pareil –. Penser : rendre pensable. Nommer : rendre nommable. Cela veut dire que, alors, vous avez quelque chose de l’ordre de l’infidélité entre le rapport de la pensée à ce qui est pensé, infidélité comme non foi et comme trahison. Non pas tant que vous trahissez la réalité par la pensée, ça ce n’est pas du tout intéressant comme problématique, la réalité, la subjectivité, et les choses, le réel, etc… ohlala, non… Non, vous fabriquez une réalité, une idée ou un mot ou autre, un puissance d’effectuation, une effectuation en puissance, vous fabriquer une réalité qui longe celle qu’elle vise, la croise, s’y substitue, l’atteint ou la recouvre – la retrouve, la masque –… Là alors, il faut concevoir quelque chose de très exaltant, une profusion d’effectuations, une explosion de mouvements dans laquelle vous ne pouvez pas poser la réalité ici et là, par ailleurs, la perception, la pensée, la parole, ni même le délire. Le délire, aussi coupé de la réalité qu’il semble être, aussi gonflé de sa bulle marginale, le délire est une réalité, c’est-à-dire un mouvement de puissance. Vous prenez un mot, vous n’allez même pas vous demander s’il coïncide peu ou prou à ce qu’il désigne, vous le prenez en tant que réalité, effectuation de puissance, puissance d’effectuation.

  Alors vous avez toute une activité folle qui rend pensable, nommable et organisable, qui n’est pas du tout à prendre pour ce qu’elle prétend être, le but qu’elle se donne, rendre compte ou atteindre la réalité, ou autre – il faut effondrer la science aussi évidemment – non, vous avez des grosses bulles de délire comme ça, d’hallucinations sociales, qui broient la réalité, qui manquent leur cible, qui butent sur leurs limites subjectives, qui recouvrent le monde, le passent à la moulinette de sens, le mettent au pas de sens, etc… peu importe, bref toute cette activité qui écrit les livres, construit les villes, pense l’homme, croie les dieux sur parole, sur la parole qu’elle lui prête, la même que celle qui la crée, que vous pouvez regarder effondrée, comme une réalité qui longe, recoupe, croise, annule et affronte d’autres réalités, comme une puissance d’effectuations parmi toutes les effectuations de puissance. Je vous dessine la réalité là et cette réalité, comme le dessin que j’en fais, sont effondrés. Je crois pouvoir dire que c’est particulièrement réjouissant.

  Vous devez vous rendre compte que j’ai du mal à m’en sortir là pour l’instant, que j’avance pas à pas, à tâtons, en essayant non seulement d’ouvrir le plus de portes possible, mais de les laisser ouvertes. Je crois que je ne m’en sors pas trop mal, parce que je ne m’en sors pas du tout. Si vous voulez, en d’autres termes, ceux des autres, je dis que l’imagination délirante humaine est une réalité parmi d’autres, je dis que la subjectivité est une effectuation objective. Je propose cette conception comme ligne de fuite, effondrement du désir scientifique qui échoue l’activité humaine tendue vers une réalité qu’elle hallucine, éclatement du pouvoir de la magie de contrôle absolu. Je ne sais pas si vous vous rappelez mon histoire de contexte, alors le délire imaginaire subjectif est un contexte objectif aussi, comme la gravité, la révolution de la terre ou la mort, qui n’existe pas donc.

  Alors on est au croisement de toute une agitation d’effectuations, entre réalité, faits, effectuations, perception, contrôle, où la perception est un fait réel et où le fait est déréel ou déréalisé. Parce qu’il se trouve que, évidemment, le fait est pensé, rendu pensable, situé et renvoyé à ses effectuations. C’est-à-dire que pour le rendre pensable, le fait, on le fait parler et pour le faire parler, on l’organise dans des rapports situationnels qui déclenche des échos illimités d’effectuations. Vous avez un fait, effectué et effectuant, effectué par d’autres faits, parmi lesquels des pensées, des perceptions, des rendus et des renvois, et effectuant d’autres faits, parmi lesquels des pensées donc – la pensée est un fait, cela va sans dire –. Ce n’est pas que vous avez une face réelle ou objective et une autre perçue et subjective, ça ne se distingue pas, ça ne peut pas se distinguer à moins d’un trafic bizarre où l’humain serait autre chose que ce qu’il est, une puissance d’effectuations, parmi les puissances.

  La prochaine fois, je prendrai un exemple très concret : celui de la perception des couleurs. Vous verrez à quel point je fonce dans le tas...
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