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27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 11:52

Shirley Clarke - The cool world

sc.jpgPrécédemment on a vu le contexte politique, puis on s’est arrêté sur la guerre franco-prussienne.

 

 On s’inquiète. On est en septembre 1870. Les troupes prussiennes marchent vers nous. La République, proclamée le 4 septembre, n’y peut mais. Pas plus que l’Empire. On croit suivre leur parcours. On estime, on calcule, on mesure. Dans combien de temps gagneront-elles Paris ? Par où ? Est-ce une question de semaines ? De jours ? Un corps passe par la route de Soissons, un autre par celle de Meaux, un dernier par Melun[1]. Melun, Meaux, c’est tellement proche. Ne peut-on vraiment rien faire ? Attendre ? Rien d’autre ?

 

  Le 18 septembre, les troupes prussiennes « passent la Seine à Villeneuve-Saint-Georges » [2] et arrivent aux environs de Châtillon en se massant dans les bois de Verrières. D’autres corps passent par Écouen, Pontoise[3]. On est dimanche. « Les théâtres et concerts ouvrent comme d’habitude »[4], « les femmes sont en grandes toilettes », on rit, on chante, on danse… On sera allé déambuler aux Tuileries, aux bois… Certains auront poussé jusqu’à Saint-Ouen pour leur « tour de promenade régulier le dimanche »[5]… Et pourtant. Il y a cette pensée qui tracasse l’esprit, taquine le corps. C’est peut-être la dernière fois qu’on s’amuse avant… On ne termine pas la phrase. Les pensées ne sont pas faites pour être finies de toutes façons. On regarde Paris encore, son fleuve ; ses immeubles trop récents pour qu’on s’y habitue tout à fait ; et ses foules, ces gens, élégants toujours, mais qui n’oublient pas de négliger quelque chose dans leur façon assez pour avoir l’air d’être beaux par accident, sans effort aucun. On écoute leurs rires, leurs rumeurs, leurs éclats. On entend une dame esclaffer quelque chose qui sonne comme de l’ironie en observant les passants : « heureux pays, qui passe si allégrement du grave au doux, du noir sinistre au rose tendre ! »[6]. On la regarde. Elle rit, elle aussi, comme les autres. On se promène encore sur les quais. Sur le pont des Arts, on s’arrête. On regarde le soir disperser, étouffer la lumière du jour. Les nuages avancent comme autant de menaces. On marche encore. « Les cafés sont combles »[7]. On sourit. Le lendemain, lundi, les nouvelles tombent et affaissent leur poids sur Paris : « de tous côtés le cercle allemand nous étreint. – Le siège commence. »[8] [je voulais qualifier le poids de sur, de… je ne trouve pas le substantif… disons du moyen néerlandais « suur », aigre, mais avec le sur du latin « super », ça donnait « leurs poids sur sur »…].

 

[noter que la progression des troupes prussiennes voisine et qu’on ne sait pas arrêter un jour comme début du siège, c’est-à-dire un événement précis qui marquerait un début… Jacques-Henry Paradis, dans ses carnets, le fait courir entre le 15 et le 20… On s’accorde sur le 18 septembre 1870…].

 

  Le poids des nouvelles, on peut le sentir frapper le diaphragme, la gorge, le ventre. On ne sait pas s’en débarrasser. Le siège pourrait être court. Certains ne croient pas que la résistance des parisiens puisse durer. On parle d’armistice. On ne sait rien. La Ville placarde des affiches invitant à faire des provisions[9]. On les lit. On se dit qu’eux non plus ne savent rien. Les gens qu’on croise parlent de leurs prévisions, certains disent qu’on tiendra quinze jours, d’autres trois mois[10]. Ils parlent de la même façon qu’on parlait du temps jusqu’ici, avec cet air qu’on a quand la parole n’a pas d’importance, qu’on la prononce simplement comme on sourit, par politesse. Personne ne sait dire que le siège courra jusqu’au cessez-le feu du 26 janvier 1871 ; la poursuite des négociations de Paix en février ; et le défilé des troupes prussiennes sur les Champs-Élysées, le 1er mars… Et même si on devine que l’isolement va sembler long, rude, féroce, personne ne sait tout à fait comme le froid, la faim, la colère viendront changer la figure de Paris.

 

[S’attarder sur cette vie au jour le jour qu’on néglige d’habitude alors qu’elle permet de pressentir concrètement les tensions entre les forces politiques à Paris.]

 

[Commencer par dessiner la vie quotidienne du siège… le folklore de la chose… par exemple dès la fin septembre on ne se promène plus[11] ; le bois de Boulogne est fermé[12] ; le jardin du Luxembourg est interdit aux promeneurs, on y parque moutons et canons[13] ; les cafetiers et les marchands de vin ferment, par ordonnance, à dix heures et demie du soir[14] ; des théâtres (de la Porte Saint Martin, le Français, l’Odéon, le Théâtre lyrique…) se transforment en ambulances[15] ;  on réquisitionne les chevaux, les voitures[16]… ; pour le courrier, on élance dans les airs des ballons « emportant 300 kilogrammes de dépêches » et « trente pigeons »[17]  afin de contourner le blocus des Prussiens ; on tente de jeter des bouteilles à la rivière pour correspondre, mais la tentative est peu concluante : « Cette bouteille, suivant la date de la lettre, a mis un mois et un jour pour arriver à destination. »[18] ; on fait le tour de Paris, « le seul voyage qui nous soit permis »[19] en guise de promenade ou on va jusqu’à Saint-Cloud, « notre extrême frontière »[20] ; on admire, le 25 octobre, une aurore boréale envelopper le ciel de Paris : « Beaucoup de personnes crurent à un immense incendie. »[21] ; on mange les poissons pêchés dans la Marne et dans les lacs des Bois de Vincennes et de Boulogne : « Les prix sont des plus raisonnables. »[22] ; on coupe des arbres dans les bois de Boulogne et de Vincennes mais les bois « sont naturellement verts et ne peuvent brûler… »[23]]

 

  Au début du siège, on ne doute pas qu’on aura assez de vivres pour tenir[24], il n’y a qu’à voir ces immenses troupeaux aller, en un mouvement qui fait plaisir à voir, boire aux abreuvoirs de la Seine[25]. On regarde les bêtes, on vérifie qu’elles sont bien portantes, on se rassure… Certains quartiers semblent transformés en une immense ferme où les poules errent dans les rues[26]… On mange plus de cheval qu’avant[27] ; les voisins ont vendu le leur à la boucherie[28], leur voiture avait été réquisitionnée de toutes façons… On mange aussi les poissons de la Seine[29], des lacs des bois de Boulogne et Vincennes[30]

 

  Mais déjà, on commence à avoir du mal à trouver du lait, du beurre[31] ; les marchands n’ont presque plus de sucre[32] ; les pommes de terre ont complètement disparu[33]… Comme c’est étrange de voir les marchés au trois quart désertés, la poissonnière vendre des nèfles ou la fruitière du saucisson[34]

 

  On a trouvé une petite boîte qui servira à rassembler les bons d’alimentation et les bons de pain… Et le rationnement est sévère, les portions de pain sont peu copieuses[35], au point qu’il faille venir avec son pain au restaurant ou chez les amis qui invitent à dîner… On le trouve « gris bleuâtre », « jaune terreux », « gris », selon les farines dont il est fait[36], chez des boulangers dévalisés, obligés de fermer à midi[37].

 

  « Tous les animaux de Paris y passent », même les moineaux, les pigeons[38]… On livre les animaux du Jardin d’Acclimatation à l’alimentation, sauf « les chameaux et les éléphants »[39]. [ à noter que Pollux et Castor, les deux éléphants du Jardin des Plantes, ont été tués d’après Frank Schloesser[40]. Les bons morceaux se vendaient 45 francs le demi-kilo.]

 

[notes : s’arrêter sur la question de savoir si on mangeait ou non du rat, du chien, du chat. Jacques-Henry Paradis, qui tient bon nombre de ses informations de la lecture de la presse de droite, écrit le 11 novembre : « Les rats, commencent, paraît-il, à être fort appréciés. La chasse est ouverte, et, hier matin, un véritable marché aux rongeurs se tenait sur la place de l’Hôtel de ville. »[41]. Puis, deux jours plus tard : « Je signale l’ouverture, cette semaine, des boucheries de viande de chien et de viande de chat et de rats. Ces derniers se mangent de préférence en pâté. »[42].

Francis Wey s’amuse à recopier un menu « qui a fait le tour des salons » : « Consommé de cheval au millet. RELEVÉS : Brochettes de foies de chien à la maître
d'hôtel. Émincés de râble de chat sauce mayonnaise. « ENTRÉES : Épaule et filet de chien braisé sauce tomates. Civet de chat aux champignons. Côtelettes de chien aux petits pois. Salmis de rats à la Robert. ROTS : Gigot de chien flanqué de ratons. Salade d'escarolles. LÉGUMES : Bégonia au jus. Plum-pudding au jus et à la moelle de cheval. Dessert et vins. »[43] Et livre son opinion : « 
Remarquons toutefois que les nourritures bizarres, empruntées aux animaux domestiques ou immondes, étaient encore des curiosités gastronomiques plutôt que des ressources nécessaires. Paris se fait de tout une amusette, et le beau monde tenait à se flatter un jour d'avoir mangé des caniches et des rats. Quant au bon peuple, il mourrait… »[44].

  Plus couramment, Lisagaray écrit : « La faim piquait plus dur d’heure en heure. La viande de cheval devenait une délicatesse. On dévorait les chiens, les chats et les rats. »[45].

Au 9 octobre, J. H. Paradis relève le prix des filets de bœuf et jambon : « de 3 à 6 francs » et du rosbif : « 3francs »[46]. Au 5 décembre, il note ces prix : « Gigot de chien, 2 fr la livre ; rognons, 25 centimes la pièce ; un chat dépouillé de sa peau vaut 5 fr. »[47]. Au 25 décembre, il consigne : « poulet 35 fr ; chat : 20 fr »[48].

Si on peut estimer le salaire moyen d’un ouvrier à Paris à 5 francs par jour[49] et celui de l’ouvrière à 2,25 francs[50], pendant le Siège le travail manque, beaucoup ne vivent que de la solde de garde national, ou de la pension de veuve, qu’ils reçoivent. Cette solde est de 30 sous[51], soit 1 franc 50[52].]

 

  Mais surtout c’est ce froid, dès début décembre[53] qui rend les choses douloureuses… Fin décembre, le bois se fait si rare, qu’« on ne fait plus de feu que dans une seule chambre, qui devient la chambre commune. »[54]. Mi-Janvier, « voilà vingt jours qu’il gèle sans discontinuer ; ce qui ne s’est presque jamais vu à Paris. »[55]. On ouvre des chauffoirs publics, où les plus pauvres peuvent venir manger et les femmes coudre[56]… Avec la malnutrition, le froid rend les mois de Décembre et de Janvier meurtriers. Le taux de mortalité double[57]. On meurt de variole, de scarlatine, de rougeole, de fièvre typhoïde, de bronchite ou de pneumonie[58]

 

[Noter que la population participe aux souscriptions nationales pour acheter des canons. Au 10 novembre, par exemple, la somme atteint un million cinq cent mille cinquante francs[59].

 

  Début janvier, Paris est bombardé. On se réfugie dans les caves[60]. Le 10 janvier, « Paris n’a pas fermé l’œil un seul instant cette nuit »[61], effrayé par le bruit déchirant des bombes. Cette sensation-là que, chez soi, dans sa tranquillité, le feu puisse venir vous trouver et vous abattre, à tout instant, dans sa soudaineté et son imprévisibilité injustes, cruelles, je crois qu’on ne saurait pas la décrire.

 

  Et puis, à la fin Janvier, « le froid a disparu »[62]… Quelques jours plus tard, l’armistice est signé. Le 27 Janvier, c’est la première fois depuis plus d’un mois qu’on passe la journée « sans entendre le bruit terrible du canon »[63]. La rigueur va se faire plus lâche, les vivres vont circuler et les gens, les amis, la famille restés loin en Province… On va pouvoir leur écrire, les revoir, retrouver ce qui fait qu’on les reconnaît toujours, l’éclat de leurs yeux, la caresse de leurs voix, la chaleur de leurs corps quand on les serre assez longtemps pour qu’elle perce nos propres chairs et nous ensuque… On n’en revient pas, Paris a tenu… Ce peuple parisien, décidément, quand même !

 

Dimanche prochain, on regardera l’aspect politicien, les tensions, les querelles

 

Voir le site du film "Commune"...

 



[1] Jacques-Henry Paradis, Le siège de Paris, Paris, 1872, p. 2.

[2] Ibid., p. 15.

[3] Cf. la fiche Wikipedia Siège de Paris (1870), version en date du 24 juillet 2013.

[4] Jacques-Henry Paradis, Le siège de Paris, op. cit., p. 14.

[5] In Émile Zola, l’Assommoir.

[6] Augustine M. Blanchecotte, Tablettes d’une femme pendant la Commune, Paris, 1872, p. 55.

[7] Jacques-Henry Paradis, Le siège de Paris, ibid..

[8] Ibid., p. 16.

[9] Ibid., p. 11.

[10] Ibid., p. 2.

[11] Ibid., p. 49.

[12] Ibid., p. 56.

[13] Ibid., p. 155.

[14] Ibid., p. 51.

[15] Ibid., p. 63.

[16] Ibid., p. 516.

[17] Ibid., p. 136.

[18] Ibid., p. 526.

[19] Ibid., p. 108.

[20] Ibid., p. 173.

[21] Ibid., p. 252.

[22] Ibid., p. 321.

[23] Ibid., p. 580.

[24] Ibid., p. 11.

[25] Ibid., p. 11.

[26] Ibid., p. 224.

[27] Ibid., p. 121.

[28] Ibid., p. 218.

[29] Ibid., p. 121.

[30] Ibid., p. 321.

[31] Ibid., p. 243.

[32] Ibid., p. 425.

[33] Ibid., p. 425.

[34] Ibid., p. 425.

[35] Ibid., p. 834.

[36] Ibid., p. 872.

[37] Ibid., p. 496.

[38] Ibid., p. 582.

[39] Ibid., p. 389.

[40] In Frank Schloesser, les Menus du siège 1870-1871, numérisé par la médiathèque de Lisieux, www.bmlisieux.com/curiosa/schloe01.htm.

[41] Jacques-Henry Paradis, Le siège de Paris, op. cit., p. 350.

[42] Ibid., p. 355.

[43] Francis Wey, Chronique du Siège de Paris, ed Hachette, p. 219.

[44] Ibid., p. 218.

[45] Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1929, p. 60.

[46] Jacques-Henry Paradis, Le siège de Paris, op. cit., p. 121.

[47] Ibid., p. 464.

[48] Ibid., p. 550.

[49] Cf. Paul Louis, Histoire de la classe ouvrière en France de la Révolution à nos Jours.

[50] Jeanne Gaillard, Paris, la Ville (1852-1870), éd. L’Harmattan, 1997, p. 294.

[51] Cf. par ex le journal des Goncourt, T. II, vendredi 7 octobre : « le pauvre diable sollicite son admission dans la garde  nationale, pour gagner 30 sous par jour ».

[52] “la solde d’un garde national se monte à 1,50 francs par jour (2 francs pour les sous-officiers et 2,50 francs pour les officiers) » in Eric Cavaterra, la Banque de France et la Commune de Paris, ed. L’Harmattan, p. 42.

[53] Jacques-Henry Paradis, Le siège de Paris, op. cit., p. 480.

[54] Ibid., p. 563.

[55] Ibid., p. 766.

[56] Ibid., p. 824.

[57] Cf. la fiche Wikipedia Siège de Paris (1870), version en date du 24 juillet 2013.

[58] Jacques-Henry Paradis, Le siège de Paris, op. cit., p. 684.

[59] Ibid., p. 348.

[60] Ibid., p. 694.

[61] Ibid., p. 707.

[62] Ibid., p. 775.

[63] Ibid., p. 878.

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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 11:45

Steve Mcqueen - Once upon a time

Capture-d-ecran-2013-10-20-a-13.56.04.pngPrécédemment : on a vu la proclamation de la Commune, puis on est revenu en arrière voir le contexte

 

  [Notes : Revenir brièvement sur la guerre franco-prussienne qui court du 19 juillet 1870 au 29 janvier 1871. Ignorer la chose militaire elle-même, les motivations « diplomatico-stratégiques » qui la travaillent – on prête à Bismarck l’intention du prétexte d’une guerre pour réunir l’Allemagne[1] – ou les manœuvres et les mouvements de troupes qu’elle calcule, pour s’occuper de ce qui intéresse la Commune : les conséquences de cette guerre sur le clivage terrifiant qu’on a pressenti dans la partie précédente…

 

  S’arrêter sur les chiffres. On compte 265 000 soldats français face à près d’un million d’Allemands[2]. Cette estimation prend curieusement l’échelle basse pour le côté français et haute pour celui allemand… Grossièrement, au début de la guerre on aurait quelque chose comme 265 000 soldats français et 500 000 soldats prussiens, puis après la mobilisation et le rassemblement des États allemands, on aurait 900 000 français contre 1 200 000 allemands et prussiens[3]. Bref… Noter que « Les Allemands l’emportaient en outre sur leurs adversaires par la supériorité de leur artillerie »[4]

 

  Avant de poursuivre, s’attarder sur ces descriptions de Zola dans la Débâcle d’une organisation ahurie de l’armée française : une attente à n’en plus finir, où les généraux ne savent plus quoi faire pour occuper les hommes[5] ; des troupes qui s’avancent jusqu’à l’Aisne pour reculer vers la vallée de la Marne à l’approche de l’ennemi ; des jours, des semaines à attendre et à tourner et tourner encore… Et des corps épuisés, affamés, plus même capables de se tenir debout au moment où il s’agit finalement de se battre… « Il n’y avait donc ni direction, ni talent militaire, ni bon sens ? »[6] fait-il se demander à un soldat qui n’en peut mais de reculer encore…  Et de s’interroger : « C’était donc vrai que cette France, aux victoires légendaires, et qui s’était promenée, tambours battants, au travers de l’Europe, venait d’être culbutée du premier coup par un petit peuple dédaigné ? »[7].

 

  Noter encore une phrase de ce roman pointant un soupçon qui va venir tracasser la France : « Oui, oui ! on les avait amenés là pour les vendre, pour les livrer aux Prussiens. Dans l’acharnement de la malchance et dans l’excès des fautes commises, il n’y avait plus, au fond de ces cerveaux bornés, que l’idée de la trahison qui pût expliquer une telle série de désastres »[8]. Ne pas se prononcer sur la question de savoir si ces soupçons de trahison sont le fait de cerveaux bornés ou un goût que l’on retrouve souvent qui veut qu’on ne sache pas s’expliquer l’accident, l’impuissance, autrement que par le complot, c’est-à-dire que l’événement accidentel doit forcément être contrôlé par quelqu’un quelque part, un dieu, une malice, autre. Le corps humain ne connaît pas la passion. Peu importe… Toujours est-il que le soupçon est posé. ]

 

  [Incise : Si la révolte tient de l’acte politique, l’acte politique tient de la parole. La parole en tant qu’outil de perception : se révolter c’est percevoir et, ou, être perçu. Il y a des cours proliférants d’effectuations et la perception qu’à un moment ces cours se fracassent. La perception nous dit qu’il y a événement, forcément, mais l’intelligence ne se résout pas à trancher et à découper arbitrairement… On pourrait penser par intensités : il y a des protestations dont l’intensité franchit le seuil de la révolte, et déterminer les seuils… Mais ce serait encore accommoder, tordre, corrompre, plier le cours proliférant à l’usage de la langue et de la pensée. J’insiste : le point de passage n’est qu’affaire de perception et de parole. S’il ne s’agissait que de praticité et de commodité… Mais c’est que le mot est voué à se faire axiome et dogme. Poser le mot, c’est déjà ne plus pouvoir s’en dépêtrer. Et nous voici avalés, ravis par un délire de paroles qui vient poser ici le mot révolte, là son différentiel, puis le différentiel du différentiel et ce qui semblait fait pour flatter notre perception en se pliant à sa façon, déjà nous bouche la vue… Je veux dire : même le corps révolté, travaillé par ses perceptions et ses paroles, ne saurait plus s’y retrouver… La parole ne doit pas être faite pour désigner mais pour pressentir ; on ne pose pas des certitudes, on esquisse des intuitions, on dégage des incertitudes inaperçues… Des mains négatives… La parole suggère qu’il y a là quelque chose qu’on ne sait pas, qu’on ne sait pas tenir dans ses mains.]

 

  [Notes : Poursuivre la récolte d’éléments utiles à notre étude quant à cette guerre… Le 2 septembre, Napoléon III capitule et est arrêté à Sedan. Le 4, des mouvements du Peuple à n’en plus finir, on y reviendra, proclament la déchéance de l’Empereur et la Troisième République. Un gouvernement provisoire, le gouvernement de la défense nationale, est nommé.

 

  Relever ce passage, issu d’un livre disons discutable, qui résume les événements qui suivent : « Trois temps, fort inégaux, vont alors se succéder : celui de l’euphorie républicaine qui se brisera sur la volonté de Bismarck, celui de « la guerre à outrance » mené par Gambetta dans un style plus politique que militaire, puis, devant la famine qui menace Paris, la signature, mais aux conditions de Bismarck, de l’armistice »[9]. Mais on est loin d’en être là…

 

  S’arrêter sur la perception de la chose… D’abord la composition de ce gouvernement, les généraux de son armée, ses administration, qui ne sont pas faits pour inspirer confiance aux républicains. Par exemple, à la date du 28 janvier 1871, on peut lire dans le Rappel : « ‘République française’. Je vois bien ce nom sur les murs, sur les affiches, au fronton des monuments et au début des proclamations. Mais je cherche vainement la chose. Le mot « République » est partout; les actes républicains ne sont nulle part. Étant donnée la situation, qu'est-ce que le gouvernement de la défense a fait, que l'empire n'eût pas fait comme lui ? »[10]

 

  Mais surtout les accusations de connivence ou de trahison enflent…

  Dans son étude sur le journal communard le Cri du Peuple, Maxime Jourdan note : « Du 22 février au 12 mars, on relève 12 occurrences du verbe ‘vendre’ et 20 occurrences du verbe ‘livrer’ »[11]. Une dernière bataille, le 18 janvier 1871, lancée par Trochu, celle de Buzenval, perdue d’avance, les convainc qu’on mène le peuple à la mort, sciemment, pour s’en débarrasser… : « ‘Le plan de M. Trochu, écrit Jean-Baptiste Clément, était une série de désastres et de capitulations prévus et médités par les hommes de l’Hôtel de Ville, revus et corrigés par de Moltke et Bismarck’ (Le Cri du Peuple, J.-B. Clément, 5 contre 1, 5 mars 1871). De cette assertion naît une idée-force, répétée par le journal comme une antienne : la France n’a pas été défaite, Paris n’a pas capitulé, ils ont tous deux été « livrés, vendus » par des hommes qui pouvaient vaincre mais qui ne l’ont point voulu. »[12].

 

  S’arrêter sur le soupçon d’entente avec l’ennemi.

  Passer sur le compte-rendu des entrevue entre J. Favre et Bismarck, dont la publication est dirigée par celui-là, qui a quelque chose qui tient plus d’une mise en scène où il tente de se justifier et d’accuser les autres Nations[13].

  Et s’attarder sur l’accusation qui aura été la plus fracassante, celle qui concerne la défaite de Bazaine à Metz. Gambetta lui même parle de trahison[14]… Remarquer que le ressentiment de cette défaite est forcément à la mesure de l’espoir, le dernier, qui s’effondre… On ne comprend pas qu’on ait perdu Metz autrement que par malice. Et voilà qu’on découvre une note que le Maréchal adressait au quartier général prussien : « La question militaire est jugée et Sa Majesté le roi de Prusse ne saurait attacher un grand prix au stérile triomphe qu’il obtiendrait en dissolvant la seule force qui puisse aujourd’hui maîtriser l’anarchie dans notre malheureux pays. Elle rétablirait l’ordre et donnerait à la Prusse une garantie des gages qu’elle pourrait avoir à réclamer. »[15]. La question est posée : les généraux, le gouvernement, préfèrent-ils s’entendre avec l’ennemi pour écraser les républicains ?

  On s’étouffe. Un type effarouché, qui doit s’ennuyer assez pendant le siège pour consigner tout ce qui lui passe par la tête, note dans ses carnets des propos qui seraient tenus au cours séances de Clubs parisiens où on prononce à l’unanimité la condamnation à mort par contumace contre « le traître Bazaine »[16].

  Bazaine sera traduit devant le conseil de guerre… Récapituler.

  Regarder ce qui lui est reproché. Les républicains l’accusent d’avoir livré Metz aux Prussiens par peur du Peuple. Le gouvernement, le corps militaire, ne comprennent pas la capitulation, qui paraît précoce, de Metz alors que des pourparlers sont en cours. Insister sur la distinction.

  Noter que la note découverte ne prouve pas la trahison. Bazaine a pu utiliser un argument qu’il imaginait pouvoir être entendu par les Prussiens pour les convaincre d’épargner ses troupes, censées être à même de rétablir ou maintenir l’ordre. Ce qui étonne, c’est la capitulation avant même de s’être battu tout à fait et les contacts avec l’ennemi lors même que le gouvernement négocie de son côté…

  Dans un extrait du conseil de guerre devant lequel il est traduit, on peut lire le Président s’interroger : « En somme, vous aviez les indications de tentatives faites sous des formes diverses de négociations dont la paix aurait pu être la conséquence. Vous ne deviez pas ignorer que le plus sûr moyen d’assurer les négociations était de prolonger la résistance et que c’était aussi le moyen le plus sûr de les faire réussir… »[17]

  Ce président examine ses motivations et revient sur cette question d’ordre social. La réponse de Bazaine est piquante : « P. : Dans la proclamation que vous avez adressée à l’armée, je lis les lignes suivantes : ‘Continuons à servir la patrie avec le même dévouement et la même énergie, en défendant son territoire contre l’étranger, l’ordre social contre les mauvaises passions.’ Ne pensez-vous pas que la seule préoccupation d’un commandant en chef devait être la défense du territoire ? L’ordre social n’était pas menacé à ce moment et il y avait 400 étrangers sur le sol national.

B. : Je considérais l’ordre social comme menacé, par la révolution seule du 4 septembre. » [18]. Préciser que le président fait référence à une proclamation faite par Bazaine après qu’il a réuni les commandants de corps le 12 septembre 1870…

  Laisser le lecteur conclure. Noter simplement qu’ il sera condamné à mort avec dégradation militaire pour avoir capitulé en rase campagne, traité avec l'ennemi et rendu la place de Metz avant d'avoir épuisé tous les moyens de défense dont il disposait[19]. Préciser que la peine sera commuée en vingt ans de prison, avant qu’il ne parvienne à s’évader et trouve refuge à Madrid.

 

  Faire le point.

  Relever, dans les paramètres qui encadrent l’action du gouvernement et des généraux, ces préoccupations : la négociation de paix, la peur de l’insurrection du Peuple…

  Noter cette déclaration du général Ducrot au cours de son audition par une commission parlementaire : « Il faut le dire : il y avait là deux idées qui dominaient tout. L’une, c’était l’espoir de la paix pour beaucoup. Du moment que M. Thiers était en pourparlers avec M. de Bismarck, on espérait, qu’en confirmant les pouvoirs du Gouvernement de la défense nationale et surtout du général Trochu, qui pour beaucoup était l’arbitre de la situation, on avait des chances d’obtenir la paix ; puis la seconde idée, c’était l’espoir que le Gouvernement puiserait dans ce vote assez d’énergie pour dominer complètement le parti insurrectionnel. »[20]. Et plus loin, on peut voir qu’il mesure la méfiance que la défaite va provoquer : « Les gens de Belleville […] peuvent donner à leur soulèvement un prétexte auquel les uns se laisseront prendre, et que les autres exploiteront. Ils diront, comme ils le disent déjà, que la paix, au prix qu’elle a coûté, est une lâcheté, un crime contre la nation, et ils trouveront des hommes résolus. »[21].

 

  Remarquer que ce « prix » que coûte cette guerre est épinglé par Trochu, président du gouvernement provisoire, qui raconte dans ses mémoires qu’à ses collègues qui insistent pour parler de « négociations pour un armistice »… il dit répondre : « Oui, ce sera notre euphémisme gouvernemental vis- à-vis des Parisiens ; mais soyez sûrs que lorsqu’une cité renfermant deux millions et demi d’habitants, qui vont notoirement mourir de faim, entre en négociations pour un armistice, elle capitule, et capitule à merci. C'est une cruelle réalité dont il faut que nous sachions envisager les effets. »[22]

 

  Noter pour l’anecdote que dans une lettre Flaubert affirme que les bourgeois se rassurent de l’approche des Prussiens : «  ‘Ah ! Dieu merci, les Prussiens sont là !’ est le cri universel des bourgeois »[23].

 

  Se demander, s’ils avaient si peur d’un Peuple auquel Napoléon III avait donné des armes en lui ouvrant la garde nationale en 1868, pourquoi ne pas tenté de récupérer les fusils en les rachetant comme en 1789 par exemple[24]

 

  Se dessine donc quelque chose qui oppose la défiance des républicains quant à la trahison supposée du gouvernement et de son armée et la peur de la bourgeoisie quant aux républicains qui perdent patience et nourrit les soupçons de ceux-ci en réduisant les marges de manœuvres de ceux-là face aux prussiens… [reprendre cette phrase dont la construction est bizarre…].

 

[Notes : on voit la limite de la méthode utilisée pour cette partie, puisqu’on pioche parmi tout le matériel « guerre franco-prussienne » ce qui peut venir éclairer la chose Communarde… on est déjà en train de dérouler et de monter une sorte de raisonnement convergent vers un point, ici le point « défiance Républicains/bourgeois »… Et si on n’a pas de parti pris ou de biais ex ante, j’espère, le point fonctionne pour autant comme un parti pris, qui classe, organise, ordonne, utilise, etc. et fait entendre une voix, i.e. forcément une voix autoritaire… Essayer de continuer de procéder plutôt par touches contrariées…] 

  

 

Dimanche prochain, on s’arrêtera sur le siège de Paris…

 

Voir le site du film "Commune"...



[1] Cf par ex. Alain Favaletto, Allemagne : la rupture ?, ed. L’Harmattan, 2013, p. 18.

[2] Ibid., p. 19.

[3] Ibid.

[4] Marc Debrit, La guerre de 1870, Genève, 1871, p. 74.

[5] Émile Zola, la Débâcle, bibliothèque électronique du Québec, p. 82.

[6] Ibid., p. 197.

[7] Ibid., p. 119.

[8] Ibid., p. 267.

[9] Odile Rudelle, la République absolue, publications de la Sorbonne, p. 15.

[10] Henry Maret, le Rappel, daté du 28 janvier 1871.

[11] Maxime Jourdan, Le Cri du Peuple, ed. L’Harmattan, p. 67.

[12] Ibid.

[13] Cf  G. d’Heylli, Jules Favre et le comte de Bismarck, Entrevue de Ferrières, Paris, 1870.

[14] Cf la proclamation de Tours du 30 septembre 1870.

[15] Cité par exemple par J. Jaurès in Histoire socialiste, T. XI, la Guerre Franco-allemande, p. 11.

[16] Francisque Sarcey, le Siège de Paris, p. 168.

[17] In François-Christian Semur, l’Affaire Bazaine, ed. Cheminements, p. 100.

[18] Ibid., p. 97.

[19] Cf par ex. Henry Willette, l’évasion du maréchal Bazaine de l’île Sainte-Marguerite, Perrin, 1973, p. 33.

[20] Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, T. III, Versailles, 1872, p. XII.

[21] Ibid., p. XXVI.

[22] Général Trochu, Œuvres posthumes, Tome 1, Tours, 1896, p. 543.

[23] G. Flaubert, lettre à George Sand, 30 avril 1871.

[24] cf la conférence d’Henri Guillemin sur Robespierre du 12 février 1970.

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13 octobre 2013 7 13 /10 /octobre /2013 14:26

Navid Nuur - I am just an idea between the wall and the tape

navid-nuur.jpg

Précédemment : On a vu la proclamation de la Commune et l’immense joie qui l’accueillit.

 

  Sans entrer dans le détail des soulèvements, des insurrections, des révolutions, mais aussi des intrigues, des coups d’État, des répressions qui leur ont répondu, qui ont exercé leur pression tout au long du 19e siècle, on peut dessiner l’insistance convaincue, farouche des républicains et la difficulté qu’il y a eu à se débarrasser de monarchistes qui n’en finissent plus d’accaparer la France…

 

  Noter d’abord, cette description que donne Jaurès, pour introduire la partie qu’il consacre à la Commune dans son Histoire socialiste : « La France s’attarde dans une combinaison d’oligarchie bourgeoise qui n’a ni la force des grandes aristocraties traditionnelles, ni la force des grandes démocraties. La bourgeoisie s’est constituée en un étroit pays légal. Elle a exclu le peuple du droit et du pouvoir. Sur cette base étriquée elle se tient immobile, en un équilibre laborieux et tremblant, et elle n’ose plus risquer un geste par peur de tomber à droite ou à gauche. Au dehors, elle n’a ni la sympathie des gouvernements aristocrates, ni la sympathie des peuples »[1].

 

  C’est une France hantée par les convulsions monarchistes que la France du 19e siècle… Une France que s’arrachent tantôt la noblesse d’Ancien Régime, les propriétaires fonciers, tantôt les grands industriels, la haute bourgeoisie qui a gagné et dévoyé la grande Révolution : « Sous les Bourbons, c’était la grande propriété foncière qui avait régné, avec ses prêtres et ses laquais. Sous les Orléans, c’étaient la haute finance, la grande industrie, le grand commerce, c’est-à-dire le capital, avec sa suite d’avocats, de professeurs et de beaux parleurs. », écrira Marx[2]. Une France qui finit par se faire dévorer par des royalistes qui s’entendent enfin, dégagent un intérêt commun sous la Deuxième République : « Leur domination [aux royalistes coalisés], en tant que parti de l’ordre, sur les autres classes de la société fut plus absolue et plus dure qu’elle ne l’avait été auparavant sous la Restauration ou sous la monarchie de Juillet, et elle n’était possible que sous la forme de la République parlementaire, car c’est seulement sous cette forme que les deux grandes fractions de la bourgeoisie française pouvaient s’unir et, par conséquent, substituer la domination de leur classe à celle d’une fraction privilégiée de cette classe. »[3].

 

  Les conditions de vie sont rudes. Et si les conservateurs savent pour l’avoir vue lors de nombreuses insurrections, la force intransigeante du peuple, ils se montrent peu partageux…  Certains pourtant dénoncent : « La misère, dans Paris, est plus grande qu’ailleurs ; la lumière et le soleil s’y vendent plus cher »… « si vous faisiez une enquête sur ces logements d’où sont sortis ces soldats de l’insurrection, vous verriez que, dans certains quartiers ouvriers, ces populations payent plus cher que nous relativement. »… « Quand vous allez acheter une maison dans un beau quartier, si elle rapporte 4 pour 100, vous êtes content ; mais une mauvaise petite baraque rapporte davantage, et les ouvriers payent plus relativement. »[4]… Et de mettre en garde une classe bourgeoise qui reste sourde : « Il faut, j’en suis convaincu, que les classes éclairées conservent le gouvernement de la société ; que ce soit sous le régime censitaire, ou sous le régime du suffrage universel, c’est aux classes élevées à diriger la société. Mais pour qu’elles aient le pouvoir, il faut qu’elles fassent attention aux besoins, aux misères, aux faiblesses de cette classe, à côté de laquelle elles sont en minorité. »[5].

 

  Noter cet extrait d’une lettre de Flaubert à Sand : « La seule chose raisonnable (j’en reviens toujours là), c’est un gouvernement de mandarins, pourvu que les mandarins sachent quelque chose et même qu’ils sachent beaucoup de choses. Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux) au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité. Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et n’écoutent plus leur curé ; mais il importe infiniment que beaucoup d’hommes, comme Renan ou Littré, puissent vivre et soient écoutés. Notre salut n’est maintenant que dans une aristocratie légitime, j’entends par là une majorité qui se composera d’autre chose que de chiffres. »[6]. Puis relever son point de vue sur la « démocratie » aurait pu être amusant ; il n’est pas développé… : « 
Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), [parce qu’elle s’appuie sur « la morale de l’Évangile » qui est l’immoralité même, quoi qu’on dise,] c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’anti-sociabilité. »[7] [ supprimer, aucun intérêt].

 

[Note : procéder par touches, laisser pressentir des dynamiques plutôt que de tenter de cerner quelque chose…]

 

  S’arrêter sur la défiance des républicains à l’égard de ceux qu’on appellerait des conservateurs, que d’autres appellent des bourgeois, des réactionnaires, autre… qui ont, à chaque fois, par des tours de passe-passe ou le recours à la répression, trahi les poussées de liberté, d’égalité, de justice du Peuple… Relever un exemple, le plus proche, celui qui achève de confisquer le pouvoir au Peuple sous la Deuxième République : « Le suffrage universel s’était, le 10 mars [1850], prononcé nettement contre la domination de la bourgeoisie. Celle-ci répondit en proscrivant le suffrage universel… La loi du 31 mai raya au moins 3 millions d’électeurs des listes électorales, réduisit le nombre des électeurs à 7 millions »[8].

 

  Relever aussi évidemment la défiance des conservateurs quant aux républicains dont ils connaissent la ténacité, l’exigence. Avant même la Commune, on isole ceux qui protestent, on étouffe ceux qui parlent, on cassent ceux qui résistent… Prendre un exemple… Regarder un discours à l’Assemblée nationale d’un garde des sceaux qui parle d’une « horde égarée » pour désigner les républicains et justifie les arrestations de centaines de gens et l’interdiction de réunions en expliquant qu’il faut « isoler pour mieux la contenir et la vaincre » cette partie, forcément minoritaire et condamnée par le reste de la population[9].

 

  Enfin en venir à cette Troisième République qui s’installe… Relever la façon dont les conservateurs pensent pouvoir se servir de l’idée républicaine. Noter un extrait d’une lettre que Thiers reçoit d’un ami : « « Il faut se servir de la forme républicaine pour achever de renouveler notre pays corrompu par l’empire – non de cette république haineuse des sectaires, - mais du gouvernement de tous qui rende à la France pendant un interrègne fécond et par un accord intelligent des partis, un peu de cette force qu’en six mois elle a si douloureusement et si héroïquement dépensée. […] Un gouvernement neutre capable de museler les violents, d’exiger des sacrifices sans soulever de trop ardentes rancunes, de porter sans plier les fardeaux les plus lourds, parce que tout le monde inclinera ses sentiments devant un drapeau qui ne sera celui de personne. »[10].

 

  Noter que, plus tard, un journal bonapartiste, l’Ordre de Paris, exprimera plus ou moins une idée similaire : « L’opinion de la plupart des gens sensés et expérimentés, c’est que la République abrite sous les plis de son drapeau tant de passions et de systèmes, qu’elle ne saurait marcher un mois sans l’état de siège dans tous les centres importants du territoire, à moins de donner de nouveau le spectacle affligeant des grandes calamités ». L’article poursuit en exprimant son souhait d’une « République nominale », qui n’a de République que le nom donc : « la République nominale, gouvernée, heureusement, à l’exclusion des vrais républicains, préserve la France des fléaux inévitables de la République effective ».[11].

 

  Insister sur ces termes «  un gouvernement neutre », « une République nominale »…

 

  Relever cette inquiétude que nourrissent les républicains qui observent les conservateurs tenter d’utiliser et de salir l’idée républicaine afin de pouvoir réinstaller la monarchie : « Les Orléanistes veulent une république intérimaire pour conclure une paix déshonorante, de sorte que la responsabilité n’en retombe pas sur les Orléans qui seront restaurés dans un second temps. » [12] écrira Engels qui reprend une idée dont se persuade toute la gauche de l’époque…

 

  Voilà en ce qui concerne les espoirs, les défiances et les traumatismes qui tracassent les uns et les autres, dans un jeu politicien de rapports différentiels, au moment où se dessine l’idée de quelque chose comme la Commune… La suite de notre étude permettra de se faire une impression plus nette…

 

  S’arrêter quand même sur quelques éléments…

  Foucault remarquait qu’« Il n’y a pas de rationalité gouvernementale du socialisme. Le socialisme, en fait, et l’histoire l’a montré, ne peut être mis en œuvre que branché sur des types de gouvernementalité divers… »[13]. Selon lui le socialisme s’embranche à des modalités qui lui sont exogènes, démocratie représentative, État policier, etc… sans mettre au point, donc, sa propre rationalité, c’est-à-dire sa propre façon… Je voudrais que l’on retienne quelque chose… On a une rationalité positive, c’est-à-dire qui atteint un niveau où on s’y retrouve, où on tient dans les mains un corpus de propositions, d’idéologies et d’idéologèmes, de paradigmes qu’on peut désigner – spoiler alert : on n’atteint jamais un pareil niveau, le hic est précisément là – une rationalité positive, donc, disons conservatrice ou bourgeoise ; on a une république qui neutralise les forces en présence pour trouver un équilibre… Il se trouve que la Commune est une rationalité positive socialiste, ça aura échappé à Foucault, ce n’est pas grave… une rationalité socialiste unique dans l’Histoire que l’on va voir s’exercer dans cette étude… Je n’entends pas articuler ces trois bouts de ficelles disparates et contrariés, rationalité positive bourgeoise, république neutralisée, rationalité positive socialiste, j’entends étudier la Commune aussi honnêtement que cela se puisse et se faisant, récolter des éléments et retrouver cette question plus tard, en observant comment elle se sera précisée…

 

 

Dimanche prochain : On continuera à observer le contexte en se rapprochant de la Commune

 

Voir le site du film "Commune"...



[1] Jean Jaurès, Histoire socialiste, T. XI, Paris, 1901-1908, p. 23.

[2] Karl Marx, le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, p.16.

[3] Ibid.

[4] Déclaration de M. Hervé à la commission d’enquête sur le 18 mars, cité par Jules Favre, Gouvernement e la Défense nationale, T. III, p. 564.

[5] Ibid., p. 235.

[6] G. Flaubert, lettre à George Sand, 30 avril 1871.

[7] Ibid.

[8] K. Marx, op. cit., p. 25.

[9] Cf discours d’Emile Ollivier à l’Assemblée nationale, séance du 8 février 1870.

[10] Lettre de Georges Picot au comte de Montalivet, in le courrier de M. Thiers, p. 426.

[11] L’ordre de Paris, 5 Novembre 1873.

[12] Lettre d’Engels à Marx, 7 septembre 1870, in Marx, Engels, la Commune 1871, pp. 54-55.

[13] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, p. 93.

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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 12:53

Gustave Courbet - L'Origine du Monde

Origin-of-the-World.jpg  C’est un mouvement inouï de gens qui accourent. Une rumeur qui a l’air d’être faite pour ne jamais finir. Deux cent mille « misérables » qui descendent « par toutes les rues sur la place de Grève, comme les affluents d’un fleuve gigantesque »[1]. Je veux dire : on ne sait plus reconnaître ici l’Hôtel de Ville, là la rue de Rivoli, les quais, les rues du Temple, des Deux-Portes-Saint-Jean (des Archives), ou celle qui s’appelait encore il y a trois ans à peine du Regnard qui pêche… qui semblent sécréter et vomir leur débordement de gens, des immeubles, des fenêtres, des toits, qui va jusqu’au Boulevard Sébastopol, plus loin encore…

 

  Je suppose qu’ils crient ou qu’ils grondent. A voir les grimaces de leurs visages, on comprend qu’ils rient.

 

  Nous sommes le mardi 28 mars 1871. La Commune est proclamée « dans une journée de fête révolutionnaire et patriotique, pacifique et joyeuse, d’ivresse et de solennité, de grandeur et d’allégresse »[2].

 

  On ne sait pas ce qu’ils font là. On ne sait pas ce qui fait que, dans les rares moments importants de l’Histoire, les gens s’attirent et se coagulent, se regardent, se touchent, rient ou pleurent, c’est pareil, etc. J’imagine que certains seront venus pour faire les poches des passants. Je suis presque certain qu’ils ne les auront pas faites finalement, les poches, des gens qui ne sauraient sans doute pas dire eux-mêmes ce qu’ils veulent si on leur demandait.

 

  Qu’est-ce que c’est la Commune ? Le droit pour le peuple de Paris d’élire son conseil municipal, droit qu’on lui refuse depuis toujours ? Une référence à la Commune insurrectionnelle de Paris de 1792, ce moment où le Peuple résiste à la bourgeoisie qui accapare la révolution de 1789 ? Ou encore ce projet de certains élus anarchistes d’une fédération de communes, des élus avec un mandat impératif et révocable ? De quoi est-il question ? D’une ville ? D’une nation ?

 

  Dans le journal de centre gauche Le Rappel, on écrit, quelques temps avant, en espérant ces élections, que « La Commune de Paris qui sortirait de ces élections unanimes serait bien plus qu’un conseil municipal, –  ce serait un conseil national. Une ville investie, surtout quand cette ville s’appelle Paris, peut se dire une nation. »[3] . Tandis que, plus tard, le journal, pourtant communard, le fils du Père Duchêne reprochera à la Commune cette confusion entre le national et le municipal : « Commune de Paris, telle que tu es, nous ne t’approuvons pas : Parce que tu as dépassé ton mandat ; Parce que tu avais été placée là pour administrer Paris et non pas pour lancer des décrets qui pouvaient n’être appréciés par le restant de la France ; Parce que nous voulions en toi nos franchises municipales, et que tu t’es érigée en gouvernement. »[4].

 

  Qu’est-ce que la Commune alors ? Et si ceux qui sont là, dégorgés des immeubles et des rues ne sont pas sûrs, ceux élus n’ont pas l’air de savoir se mettre d’accord. Il se trouve que la politique est mue par cette croyance ahurie et fétichiste en la parole, la parole qui crée le monde, lors même qu’elle ne sait pas de quoi elle parle… Je veux dire : l’acte politique n’est qu’une parole et pour que cette parole se fasse acte politique, il faut qu’elle soit malentendue. Regardez cette réunion contrariée de jacobins romantiques avec des anarchistes – c’est-à-dire de démocrates radicaux – pour qui ce mot « Commune » vient s’inscrire en un point de prolifération de leurs discours qui n’est pas fait pour coïncider. Pour certains, après « l’émancipation » de « la bourgeoisie », « il y a plus de trois quarts de siècles », en 1789 donc, c’est « le tour de l’émancipation du prolétariat »[5] qui arrive. Ce n’est pas tant qu’ils s’attachent à critiquer ou subvertir les modalités du pouvoir, mais plutôt songent qu’il suffit de changer les hommes qui le détiennent… Quand d’autres n’ont pour cible que ces modalités, entrent en « guerre » contre les « vieilles conceptions de l’Etat unitaire, centralisateur, despotique » et réfléchissent à un « principe de l’autonomie des groupes librement fédérés et du gouvernement le plus direct possible du peuple par le peuple. »[6]. Mais on n’atteint jamais quelque chose comme un « point » où on s’y retrouverait tout à fait et ce ne sera donc pas fait pour nous étonner qu’un jacobin comme Delescluze, par exemple, qu’on attendrait défenseur d’un pouvoir centralisé, concevait « un projet d’organisation de la Nation décentralisée à l’extrême »[7]… [Note : confus. Trop de détails qui font que la chose échappe…]. Tous, en tout cas, ont un sentiment, une urgence, dont ils savent dire le nom sans hésiter : République.

 

  Et ce qu’ils savent décidément, ceux qui sont là, ceux qui font disparaître Paris sous leurs chants et leurs cris, ce qu’ils pourraient presque toucher, c’est ce souffle vif et tenace de la Révolution. Une Révolution « contre la politique et les prérogatives gouvernementales, les privilèges parlementaires, légaux, financiers qu'elle institue »[8]… Une Révolution « expérimentale, positive, scientifique »[9]… Un moment, la seule et unique fois de l’Histoire où, pendant deux mois, le Pouvoir sera tenu et serré dans les mains du Peuple.

 

  Les hommes agitent leurs chapeaux, les femmes leurs mouchoirs. Les Gardes nationaux défilent, font battre tambour et tirent des salves de canon depuis les quais. On chante : La Marseillaise, Le Chant du Départ. Même les plus hostiles à la Commune décrivent « un volcan de passions généreuses »[10].

 

  Sur la place, on a dressé une estrade et posé un buste de la République. L’estrade est là pour ces hommes qui viennent d’être élus – Les femmes sont toujours exclues des élections –. Je ne sais pas si on veut pouvoir mieux les voir ou si on s’imaginent qu’ils ont vocation à s’élever voire à s’envoler… Les 15 élus des quartiers bourgeois, les 1er, 2e, 9e et 16e arrondissements, refusent de siéger. Ce sont donc les élus des quartiers ouvriers, qui ont donné une très large majorité aux Communards, qui se présentent au Peuple de Paris.

 

  Et puis, le silence se fait. La rumeur s’étouffe peu à peu. Et le Comité remet ses Pouvoirs à la Commune : « La Commune est nommée. Ce résultat obtenu, nous remplissons le dernier terme de notre mandat en nous retirant »[11]. On entend mal ce que ce membre du Comité vient de dire. Les premiers rangs se retournent, répètent ; certains, quelques rangs plus loin, répètent à leur tour pour les gens derrière, etc.

 

  Les mines de ces élus sont graves, inquiètes. Leurs visages, dans la profusion folle de couleurs de la foule, le rouge des drapeaux brandis, les jaunes, les verts, les violets des chiffons, le rose des pommettes et les bleus, les marrons humides des yeux, paraissent désolément pâles. S’ils ne savent pas, s’ils ne peuvent pas savoir que dans deux mois le Gouvernement face à eux commettra le plus grand massacre politique de l’Histoire de France pour étouffer cette Révolution et volera dans cette foule hilare, dans ces mines mangées par le rire, ces poitrines soulagées d’un poids qui semblait ne jamais vouloir s’évanouir, ces hommes et ces femmes, ces enfants, ces vieux, quelques 30 000 corps ; ils mesurent l’exigence, le défi de la tâche. L’un des élus, Arthur Arnould, se souvient : « Il fallait maintenant sortir de la théorie pour entrer sur le terrain des faits, passer de l’opposition à l’action, appliquer ces principes si longtemps proclamés. C’était un monde nouveau pour nous tous. »[12].

 

  Et puis, tandis que les élus, des écrivains, des employés, des opposants politiques depuis toujours, qui ne savent rien du Pouvoir, mais qui y ont tant réfléchi, vont découvrir les lieux, se choisir un bureau dans un Hôtel de Ville abandonné par un Pouvoir qui a fui Paris pour Versailles depuis l’insurrection du 18 mars, la foule se disperse peu à peu. Certains fatiguent, d’autres ont faim, et puis les pleurs des enfants… Les rues se vident. On reconnaît à nouveau l’Hôtel de Ville, la rue de Rivoli, la place de Grève, les quais, qui ont l’air d’être là pour l’éternité. Quelques uns, excités par une joie qu’ils ne savent pas reconnaître, à laquelle ils ne peuvent pas se faire tout à fait, ne parviennent pas à se décider à partir, tardent, comme s’ils voulaient rester pour être sûrs… Parmi eux, quelqu’un se dit que la défaite est probable… Mais que si les hommes étaient vaincus, l’idée pourrait triompher : « Il s’agissait d’affirmer la Révolution sociale, l’avènement des classes déshéritées, de telle sorte que ce premier jalon ne pût être arraché désormais, et que la trace de pas de géant, empreinte sur le sol, indiquât la voie aux générations à venir. »[13].

 

 

Dimanche prochain : On reviendra un peu, beaucoup, en arrière pour comprendre le contexte

 

 

Voir le site du film "Commune"...



[1] Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1929, p. 141.

[2] In Le Cri du Peuple, 30 mars 1871.

[3] Paul Meurice in Le Rappel, n°508, daté du 2 novembre 1870.

[4] In Le fils du Père Duchêne illustré, N°5, 17 Floréal an 79, p.5.

[5] Journal Officiel de la Commune, 20 mars, p. 45.

[6] Arthur Arnould, Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, p. 137.

[7] Pierre Levêque, La commune de 1871, Presses de l’Université de Saint-Étienne, 2004, p. 38.

[8] Pierre Denis, cité par Maxime Jourdan, Le Cri du Peuple, ed. L’Harmattan, p. 237.

[9] Ibid., p. 117.

[10] Catulle Mendes, cité par Arthur Arnould, op. cit., p. 132.

[11] in Enquête parlementaire, sur l'insurrection du 18 mars, TIII, p. 49.

 

[12] A. Arnould, op. cit., p. 122.

[13] Ibid., p. 121.

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