Avant d’aller voir ailleurs si on y est, j’aimerais regarder ce qui retombe une fois un certain nombre de choses éclatées, tracer des traits, des lignes et des ratures.
Il y a quelque chose qui insiste encore, qui n’a pas du tout trouvé une articulation solide et viable au XXe siècle, c’est le problème de l’éthique.
Vous avez donc l’absolu qui tombe, le Bien, la Vérité, le Savoir même qui suffoquent et s’épuisent au XXe siècle, dont l’effondrement ouvre le champ à plusieurs séquences de conséquences et, parmi elles, ce qu’on pourrait appeler le particularisme mais aussi quelque chose comme une fascination de la finitude.
L’effondrement de l’absolu, le particularisme et la finitude, ça va donner une poursuite obstinée vers l’épuisement, tendue par un rapport à la mort halluciné. Vous avez un siècle entier mû par un désir d’aller vers sa propre mort. Je n’ai pas envie de développer, je n’en ai pas du tout envie, j’ai envie de pointer des exemples : l’abstraction et la conceptualisation dans l’art, le silence philosophique (depuis la déstructuration heideggerienne jusqu’au rire foucaldien), la pulsion de mort psychanalytique ou encore le no future punk. Il faut ressentir cette chose étrange qui fait que l’être humain, au milieu de l’effondrement des vérités éternelles, de l’éclatement du savoir absolu, du glissement fondamental de l’infini à l’indéfini, n’a plus rien d’autre à faire que d’aller vers sa mort, il faut le ressentir dans ses chairs. Il faut ressentir à quel point c’est vital et vivant, cette tension d’aller vers la mort, c’est-à-dire à quel point c’est fort, mais aussi à quel point c’est nul, à quel point ça s’annule une vie de mort, à quel point ça se décharge dans ce paradoxe synthétique. Tout simplement parce que la finitude, c’est un idéal aussi inatteignable, fuyant, inconsistant que l’infini. Un être qui se tend vers un infini impossible ou un être qui se tend vers la mort qu’il fuit par cette tension même. Un être qui fabrique un délire de vie ou un être fabriqué par un délire de mort. Evidemment, ça ne peut pas marcher.
Il faut voir cette corrélation fondamentale qui fait qu’un mécanisme de pensée rend possible un… appelons ça par exemple un événement, tout autant qu’un événement rend possible un mécanisme de pensée. Vous avez quelque chose qui pourrait être décrit par l’image d’un cercle, même si je n’aime pas les cercles, ni les images, qui fait qu’on ne va pas repartir à zéro, penser complètement autrement avec des mécanismes qui ne viennent de nulle part et des mots surgissant spontanément. Vous avez l’infini qui s’effondre, mais il faut voir la lame de fond, la profondeur des répercutions, la démultiplication des échos, la longueur de l’onde jusqu’à ce qu’elle se taise. C’est pour ça que la philosophie, elle n’est jamais aussi efficace que quand elle s’attaque aux mécanismes. Donc là vous avez des résidus, des trucs qui restent ou qui mutent, qui se transforment ou qui se déforment. Et par exemple cette tension vers un idéal impossible à laquelle l’être humain ne parvient décidément pas à renoncer. Ca s’est appelé la Beauté, ça a donné la Joconde, ça s’est appelé la consommation, ça a donné l’obésité, etc… ou alors ça s’est appelé la vie éternelle, ça a donné la vie après la mort, ça s’est appelé la médecine, ça a donné les soins palliatifs, ces corps putrides dont on prolonge indéfiniment et cruellement les râles. Là, je ne fais pas d’analogies, je pointe des poussées, je ne fais pas de liens entre la vie éternelle après la mort de la religion et la vie éternelle avant la mort de la médecine, je décris deux événements. Est-ce que je dégage quelque chose comme une puissance, une force, une énergie, une dynamique par ces descriptions ?
Alors vous avez ces… appelons ça résidus, ces vestiges de mécanismes, ces vestiges d’événements. Ce n’est pas un truc duel, un mécanisme est un événement, comme une pensée est une action… Vous avez ces mécanismes-événements qui mutent, vous en avez certains qui se taisent quand les poussées d’autres atteignent un certain niveau, que ceux-là soient rendus inutiles ou inefficaces par ceux-ci ou que ceux-ci soient rendus utiles et efficaces par l’inutilité de ceux-là. Mais enfin vous ne partez pas de nulle part. Ca, le XXe siècle nous a donné le mécanisme pour ne serait-ce que le concevoir. Et alors vous n’avez plus de savoir ou de vérité absolus, grand bien vous fasse, mais est-ce que pour autant l’être humain ne court plus après la vérité. Et alors ça, c’est quand même la chose la plus comique de ce XXe siècle, de voir un être humain toujours courir après la vérité et le bien, avec la même ténacité, la même énergie et la même nécessité. Ce n’est plus la même vérité ou le même bien, mais la ressemblance des courses est surprenante. Vous savez, quand même, si on regarde ça cyniquement, on peut aussi se dire qu’une révolution, elle s’effectue pour substituer des carottes à d’autres carottes, quand les premières ont perdu de leur efficacité, qu’on va de croyances en croyances. Peu importe. Bref, on aurait pu s’attendre à ce que se mette en place quelque chose qui n’aurait rien eu à voir avec la vérité ou le bien, parce que là vraiment on en est revenu, mais non. Là vous avez quelque chose qui tient du miracle et qui s’appelle la phénoménologie husserlienne. Husserl, c’est un exemple délicieux de ce bidouillage de l’activité humaine, où après avoir pointé très pertinemment les impasses de la métaphysique, il va déployer toute une virtuosité pour disposer des rustines et s’assurer que ça tienne. Il se trouve que les êtres humains, non seulement ne partent pas de rien, mais ont un attachement panique à leur confort. Ca ne leur viendrait pas à l’idée de foncer dans le tas et d’attaquer les fondements pour faire que tout s’écroule. Husserl introduit la notion de rapport à la vérité, qui n’est plus absolue, mais morcelée, prise dans une série de perceptions, il dessine une vérité subjective, noématique, là il tient quelque chose de très fort et puis il retombe dans la nécessité de s’accorder sur des vérités inter-subjectives. Alors ce que ça change, c’est qu’on va penser les choses en train de se faire, et non plus les choses faites, établies en elles-mêmes, on va penser les choses en train de se faire dans leurs rapports, on va penser les êtres en train de penser les rapports des êtres et des choses en train de se faire, etc… Là où ça bute, c’est qu’on n’a pas saccagé le procès intellectuel, c’est que les mécanismes de la pensée sont encore imprégnés par cette nécessité fonctionnelle d’établir, établir des choses, des faits, des êtres. On voit très bien sur quoi il faut travailler, on voit très bien ce qu’on a entre les mains, cette puissance comme ça en mouvement, sans axiome aucun, sans origine, sans rien qui puisse l’établir, la fixer, mais dès qu’il s’agit de la manier, on a encore recours à des mécanismes archaïques qui installent, même temporairement, même fugacement, des entités imaginaires. Pour le besoin du raisonnement, on va poser tel truc là, tel autre truc ici… on va penser les rapports, mais on va établir les termes de ces rapports pour pouvoir les décrire, etc… Et ce que ça ne change pas, ce que ça n’attaque pas, c’est les rapports eux-mêmes ou plutôt, c’est le rapport aux rapports. Vous avez une vérité insérée dans des séries et des rapports chez Husserl, mais le rapport aux rapports de la vérité, on ne peut pas dire qu’il soit complètement pulvérisé… Avec les prouesses conceptuelles de Husserl, la vérité en tant que vérité change, mais le rapport à la vérité est maintenu, et même la vérité en tant que vérité change afin de préserver le rapport à la vérité.
C’est là qu’on entre dans le particularisme. Vous pouvez suivre les mêmes mécanismes intacts, préservés, maintenus… actualisés, dépoussiérés pour pouvoir être maintenus. Vous n’avez plus la Vérité absolue, le Savoir absolu, parce que ça ne tenait plus, c’était épuisé, on voyait que c’était trop énorme, trop monstrueux, ces espèces d’excroissance de l’imaginaire, mais vous avez des vérités particulières dans des séries et des rapports, vous avez des savoirs particuliers et le rapport, c’est-à-dire précisément la course aveugle vers l’impossible, cette course-là, le rapport aux rapports de vérités, comme avant le rapport à la Vérité, rien ne l’arrête. Il faut regarder comment fonctionnent les choses, comment c’est mis en place, comment ça s’articule, à quoi ça répond, etc… vous voyez des histoires de paradis perdu ici et puis vous voyez des chocs traumatiques dans la petite enfance là, chez Charcot, chez Freud… vous voyez des aristocrates ici et puis là vous voyez des stars… vous voyez que rien ne se perd, rien ne se crée et tout se transforme… vous voyez que dans une démocratie, vous avez plus de libertés qu’un esclave, oui, mais vous avez beaucoup moins de libertés qu’un vagabond du Moyen-âge, dont l’existence même était ignorée de la société. Vous voyez que vous avez gagné non pas en libertés, mais en marge de manœuvre, mais parce que c’était possible, parce que ça a été rendu possible par des mécanismes de rabattements plus sophistiqués et plus précis. Vous pouvez aller plus loin parce que la laisse est plus longue. Mais il faut voir que la laisse est toujours là. Alors par exemple, il n’y a plus d’idéaux, mais parce que leur fonction s’est épuisée, il n’y a plus d’idéaux, parce qu’ils sont devenus inutiles, pour les mêmes raisons qu’il n’y a plus de torture en place publique. Je renvoie à la lecture de Surveiller et punir. Vous n’avez plus d’idéaux universels, parce que la société ne s’organise plus du tout dans la même logique, parce qu’elle a mis en place des mécanismes de rabattements à même de suivre les particuliers. Mais si vous regardez comment fonctionnent les choses, vous voyez des particuliers en proie à des idéaux particuliers, recherchant leurs vérités, leurs beautés, et surtout leurs biens, dans tous les sens du mot. Vous voyez des particuliers devenus eux-mêmes des idéaux, existant comme des idéaux, c’est-à-dire déjà morts. Et vous voyez que la course est la même. Vous voyez que les mécanismes sont intacts.
Alors on peut prendre l’exemple de la Realpolitik, parce qu’il est très drôle cet exemple. Vous avez des gens qui se présentent comme étant « pragmatiques ». Là, on se dit qu’ils vont proposer quelque chose d’intéressant et de contemporain, être pragmatique, ça a l’air d’être une bonne réponse à la chute des universaux et des principes. Et puis comme ces gens ne pensent pas spontanément de nulle part, ne repartent pas à zéro, vous voyez assez vite tous les archaïsmes qu’ils se trimballent. Alors qu’est-ce que c’est la Realpolitik en fait, eh bien, c’est de fermer les yeux sur les crimes de son interlocuteur pour se faire de l’argent, pour lui vendre des armes par exemple. Alors, déjà c’est se résigner et se soumettre, accepter les choses comme elles sont, c’est la première erreur, parce que quand même on devrait avoir compris que les choses ne sont pas, avec tout ce travail du XXe siècle. « Accepter les choses comme elles sont », c’est déjà valider une convenance erronée, c’est encore fonctionner avec des mécanismes axiomatiques et ontologiques. Ensuite, ces « choses comme elles sont », ces convenances arbitraires, il se trouve qu’elles consistent à faire comme tout le monde, avec ce discours de collabos qui veut que « si ce n’est pas nous qui en profitons, les autres, etc… », avec ce discours, vous voyez quelqu’un se faire violer, vous y allez parce que de toute façon quelqu’un en profite, alors pourquoi pas vous aussi. Ca sert à des trucs comme ça la logique, à maintenir et solidifier les délires. Tant qu’on n’aura pas attaqué ces mécanismes… Là, il faut voir la normalisation profonde et sidérante du néo-libéralisme. On n’a rien inventé de plus normalisateur où la norme se justifie d’être norme par la norme. Vous prenez un peu de recul, vous voyez à quel point c’est arbitraire, à quel point rien ne dit nulle part que ça doit être comme ça, vous voyez le cercle, la boucle du truc, comment ça tourne en rond en ne reposant sur rien, c’est époustouflant. La Realpolitik, c’est un tour de passe-passe merveilleux, où les pires dogmes se présentent comme le contraire de dogmes, ça les rend complètement glissants et presque inattaquables. Vous avez la chute du Bien absolu, et comme les mécanismes restent intacts, quand il n’y a plus de Bien, qu’est-ce qu’on fait, on ne pulvérise pas le duel Bien/Mal, non, et là c’est énorme à quel point ça tient de la magie, on compose avec non plus le « Mal », mais les « maux ». Il faut regarder qu’est-ce que c’est la « réalité » selon la Realpolitik néolibérale, qu’est-ce qu’elle désigne dans son axiomatique comme « réalité », qui lui permet de se justifier, et ce n’est pas du tout la réalité, loin s'en faut, c’est le délire de l’argent, et alors si quelque chose n’est pas réel, c’est quand même l’argent. C’est génial dans cette société à quel point on nous présente des délires arbitraires qui ne reposent sur rien comme des faits indiscutables contre lesquels on ne peut rien, faire de l’argent, divertir, consommer… Où a-t-on vu que s’y soumettre, c’est accepter la réalité ? Ca c’est profiter de la faiblesse de la notion de finitude du XXe siècle pour mettre en place une supercherie dont les idéaux sont, certes, moins éclatants, mais au moins autant ravageurs. L’impuissance, la castration fondamentale de ces enfants qui jouent aux chefs d’états, étourdis par leurs rêves hallucinatoires d’eux-mêmes. – A la question qu’on pose aux enfants : « mais enfin, si x se jetait par la fenêtre, tu le ferais ? », ce genre de chefs d’états répond majestueusement « oui » de tout ce qu’il peut être –. Ici vous voyez des croisades religieuses, là le prosélytisme du F.M.I., je ne fais pas de comparaison, je ne dis pas que c’est pareil, mieux ou moins bien, parce qu’il faudrait que j’établisse un référant idéal et axiomatique, je pointe les deux, c’est tout, je ne les renvoie pas l’un à l’autre, je les renvoie chacun à leurs mécanismes. Alors, la « réalité » que la Realpolitik néolibérale établit, évidemment, elle est répugnante et surtout elle est tout sauf la réalité. Certes, vous ne la voyez plus brandir un idéal comme le Bien, la Beauté, la Vérité, etc… mais dans ses mécanismes, elle est pleine de principes et repose tout autant sur un idéal axiomatique que ces dits « Bien », « Beauté », etc…
Est-ce qu’on peut pointer la réalité, une réalité réelle, une réalité vraie, inter-subjective, absolue pour faire barrage à la Realpolitik, pour dégager ses torts, écrouler ce sur quoi elle se fonde ? Sans doute que non, il y a bien mieux à faire. D’abord, avant tout, sans tout revoir de fond en comble, on peut déjà pointer une faille de ce système. On est à une époque où les biens sont affaire de particuliers, les biens, les vérités, les savoirs etc… bon, est-ce à dire pour autant qu’un état échappe à ces affaires de biens au prétexte qu’il est au-delà des particuliers ? Vous avez des sociétés qui font des lois pour les particuliers, qui actualisent les principes de bien, de vérité, etc… mais en les déguisant dans des particularismes, et puis vous avez des rapports d’états à états qui échapperaient aux affaires de biens, de vérités, etc… parce que là on ne serait plus dans le particulier. Prenez l’activité des droits-de-l’hommistes, qui ont, certes, quelque chose du prêtre, avec une morale, un idéal absolu, un prosélytisme qui répond à celui du F.M.I., mais fouillez dans leurs propositions, vous avez un tribunal et une police internationaux, c’est-à-dire des instances qui enquêtent et jugent les actions au niveau des Etats. C’est une parade : vous généralisez le particularisme jusqu’au niveau des Etats, c’est une parade étrange et archaïque, mais efficace, claire et cohérente. Il faut poser cette parade, parce qu’elle souligne la contradiction d’un chef d’Etat qui interdit à ses citoyens par exemple le vol, mais qui ferme les yeux sur les « exactions du tyran », comme disent les traducteurs de Shakespeare, avec lequel il traite. Ensuite et surtout, dans tout l’attirail philosophique, vous avez des leviers à votre disposition contre la Realpolitik et le droit-de-l’hommisme. Vous avez par exemple la « contre-effectuation » chez Deleuze, c’est-à-dire cette opération active d’un être humain sur un événement qu’il n’accepte pas tel quel. C’est une opération fondamentalement nécessaire face à des chefs d’Etats soumis et résignés ou face à des citoyens tiraillés entre particularismes et majorités. Vous avez un événement, vous le percevez déjà dans une série husserlienne, et vous tracez votre propre ligne de « contre-effectuation » en tant qu’ « acteur », c’est-à-dire en tant que puissance. Enfin, c’est bien aux mécanismes qu’il s’agit de s’attaquer. Qu’est-ce que vous avez besoin d’établir, d’installer, de fixer pour élaborer vos « mécanismes-événements » ? qu’est-ce qu’ils trimballent de convenances, d’axiomes et d’arbitraire ? Vous avez l’effondrement du Bien, des Universaux, de la Conscience, de l’idéal absolu et vous avez une poussée des maux, des particularismes, de l’inconscient et des individus comme idéaux en eux-mêmes. Vous n’avez pas attaqué les trucs duels, vous êtes dans un de ces corrélats. Parce que les mécanismes avec lesquels vous pensez restent intacts : établir des axiomatiques, renvoyer de thèses en antithèses dans un tourbillon qui ne se confronte jamais à l’arbitraire de ses axiomes, déduire, spéculer et délirer. Vous prenez la Realpolitik, vous voyez qu’elle se fonde sur une « réalité » axiomatique et arbitraire, vous voyez qu’elle s’articule comme n’importe quel dogme, comme n’importe quel système et vous lui riez au nez. Vous prenez le droit-de-l’hommisme, vous le voyez brandir un idéal, ni plus ni moins pragmatique que celui realpoliticien, ni plus ni moins prosélyte. Vous avez le droit-de-l’hommisme qui tend vers un idéal ou la Realpolitik sous-tendue par un autre. Mais alors, qu’est-ce que vous faites une fois que vous avez compris que tout ce système ne tient qu’à se renvoyer à lui même pour camoufler qu’il ne repose sur rien ?
Ca pourrait être nécessaire de penser les choses en train de se faire par une pensée en train de se faire par une langue en train de se faire… Le XXe siècle dégage le mouvement, effondre les axiomes en eux-mêmes, les ontologies, les définitions, les universaux, les généralités, etc… parce que le système dans lequel ces idéaux s’effondrent ne tend plus vers rien, dès lors qu’il est sous-tendu, par exemple par sa « réalité » en tant que délire de finitude, et parce que l’être humain dans ce système ne tend plus lui non plus vers rien, dès lors qu’il est sous-tendu, par exemple par son délire de mort. Le XXe siècle effondre les idéaux, mais simplement parce qu’il peut s’en passer, plus besoin d’infini et d’absolu, il y a la finitude et le particularisme, plus besoin de dieux, il y a les structures, plus besoin de Bien, il y a les biens, plus besoin d’ontologies, il y a la « réalité », la réalité comme échec, comme fin, comme mort. Ce n’est pas tant que les uns se substituent aux autres, que les sous-tensions prennent la place des tensions, mais plutôt que ça mute, ça se transforme, et surtout ça tient toujours. La révolution du XXe siècle est précisément comme celle de la terre, elle tourne en rond et retourne sur eux-mêmes des mécanismes qui décidément se maintiennent. Alors il faut effondrer les mécanismes de la pensée qui s’articulent avec des axiomes effondrés, il faut poursuivre le travail d’effondrement de la lame de fond du XXe siècle. Effondrer le Logos, pulvériser la mécanique de l’idéal, dégager la puissance… Vous ne pouvez pas manier les problèmes éthiques et politiques qui se trimballent tous les archaïsmes, avant d’avoir manié comment vous maniez.